La classe d’Héloïse Jean fait est l’une des 3 classes filmées dans le documentaire de Mathilde Syre « École en vie » que Public Montessori soutient.
http://www.ecoleenvie-lefilm.fr/le-film.html
Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=v-A1w3qv29c
Héloïse est membre de Public Montessori et déléguée pour le 49. Elle se propose de nous raconter sa classe et son chemin.
Ma carrière professionnelle a débuté avec des classes multi-niveaux en cycle 2 ou cycle 3 en Sarthe dans un bassin défavorisé.
L’épanouissement de chacun et la réussite de tous s’imposaient comme des priorités. Pour répondre à ces besoins, une pédagogie différenciée s’avérait indispensable et des habitudes de travail autour de l’autonomie étaient importantes et nécessaires.
La dimension éducative m’importait également avec le renforcement de la confiance en soi.
Je me suis interrogée sur les liens à faire entre cycle 1 et cycle 3, les savoirs-être à développer, à travailler en maternelle pour qu’ils soient ensuite profitables aux cycles supérieurs.
À travers diverses lectures en psychologie de l’enfant traitant de la dimension émotionnelle, mais en abordant les découvertes des neurosciences, j’ai décidé de m’intéresser à des pédagogies dites actives et positives où l’enfant est considéré au centre de la construction de ses savoirs et de ses compétences.
J’ai ensuite poursuivi mon activité professionnelle en cycle 1 dans le Maine-et-Loire en milieu rural avec une population présentant une mixité sociale. J’ai débuté avec des petites et moyennes sections en 2012 et j’ai en charge actuellement des petites, moyennes et grandes sections. C’est ma cinquième année dans cette école. Cette configuration de classe est un choix pédagogique au sein de l’équipe enseignante généralisée aux 3 classes de l’école.
Mes collègues et moi-même soutenons ce choix avec l’objectif, au sein des classes, de favoriser une émulation entre pairs et aussi de l’entraide. Je peux observer quotidiennement le développement chez les élèves des compétences transversales du vivre ensemble. Ils se respectent les uns et les autres, et prêtent attention aux besoins de chacun.
C’est donc un moyen de lutter contre le décrochage scolaire tout en préservant la cohésion sociale.
Cette chance est offerte à tous les élèves. Il y a un véritable travail d’équipe pour créer du lien entre les 3 classes. Les élèves ne restant pas nécessairement les trois années avec le même enseignant et les pratiques pédagogiques de chaque classe étant différentes, le travail d’équipe constitue donc une exigence favorisant l’intégration des élèves dans les meilleures conditions et créant une cohérence entre les classes.
Notre réflexion s’articule donc au-delà d’une simple pratique pédagogique.
Avec une classe multi-niveaux (hétérogène tant par l’âge que par les connaissances), la mise en place d’ateliers de manipulation individuels et autonomes me semblait être une évidence.
En adéquation avec la loi de refondation de l’école et la lutte contre le décrochage scolaire, il me parait important que chaque élève puisse construire les compétences attendues en fin cycle tout en respectant son propre rythme d’acquisition. L’apprentissage doit, avant tout, se faire dans le respect des besoins du jeune enfant.
Je suis partie du principe pédagogique qu’un enfant laissé libre de son choix dans un cadre sécurisant et organisé trouvera naturellement plaisir à se dépasser.
L’élève pourra au sein de la classe développer avec l’aide de l’enseignant son rythme d’apprentissage personnalisé avec un environnement étudié et adapté.
Le rôle de l’enseignant est donc de penser et d’organiser la classe en amont et de guider l’enfant dans son parcours d’apprentissage pour qu’il puisse tirer parti au maximum de ses capacités.
La place de la bienveillance au sein de la classe, mentionnée dans les programmes 2015, est primordiale.
J’entends derrière le terme bienveillance, à la fois le respect, la vigilance, l’empathie mais aussi l’exigence professionnelle envers les élèves.
Comme le précise Philippe Meirieu : « L’enseignant doit se mettre à la portée des élèves et non pas à leur niveau. »
Au fur et à mesure des années, j’ai enrichi ces ateliers de manipulation individuels en les perfectionnant et en les diversifiant tout en m’appuyant sur les travaux de Maria Montessori.
Pour être efficace, ces ateliers doivent permettre de répondre à différents attendus selon le principe du cercle vertueux :
Ils doivent favoriser l’attention des élèves.
Cette attention, ou motivation intrinsèque, va se développer grâce au choix individuel et libre de leur activité.
Celui-ci permettra d’engendrer de la motivation et ainsi de l’autonomie.
L’atelier doit pouvoir générer chez l’élève un engagement actif.
Celui-ci peut avoir lieu parce que l’enfant est motivé par son choix. Les élèves étant engagés pleinement dans leurs activités, un climat serein règle au sein de la classe, propice à la concentration et aux apprentissages.
Cela favorise les interactions sociales entre pairs. Le développement des compétences ne se fait donc plus uniquement par un enseignement vertical offert par l’enseignant, mais il s’accroît par un partage du savoir et une forme d’enseignement horizontal.
Enfin cet engagement actif entraîne une émulation positive entre les enfants.
Ensuite, les ateliers doivent être conçus de telle manière que les élèves puissent obtenir un feed-back immédiat sur leurs actions.
L’élève va vérifier et contrôler son travail par le biais de l’auto-évaluation. Ce n’est plus l’enseignant qui valide seul mais l’élève est associé au contrôle de la réussite ou non de son action.
La conscience de l’erreur peut apparaître de deux manières différentes : soit, dans un premier temps, par la prédiction, soit par la suite, par l’observation. L’erreur devient un levier d’apprentissage.
Elle se transforme dans la possibilité de se construire et de développer la confiance en soi.
Elle est essentielle au processus d’apprentissage.
Enfin, le travail proposé doit permettre la consolidation des compétences.
Celle-ci ne pourra être possible que si l’élève peut répéter autant de fois qu’il le souhaite les activités proposées.
Cette phase d’entraînement, dont la durée est laissée à la libre appréciation de l’élève, est génératrice d’automatisation des savoirs, mais est aussi garante d’un perfectionnement des compétences.
La consolidation par la répétition va induire le développement des fonctions d’exécutions solides (mémoire de travail, contrôle inhibiteur ou concentration, flexibilité cognitive ou adaptation).
Ces dernières sont indispensables et amènent les élèves à un comportement intentionnel organisé.
C’est l’élève lui-même qui va construire, grâce aux activités proposées, ses fonctions exécutives. Pour atteindre l’objectif de l’activité, il va devoir maintenir fermement son attention, tout en maîtrisant la précision de ses gestes, et tout en planifiant ses actions.
Cette démarche doit toujours se faire avec une certaine flexibilité pour permettre à l’erreur de conserver son statut de levier d’apprentissage.
L’enseignant accompagnera les élèves dans leur progression tout en aidant ceux qui pourraient être plus en difficulté en adoptant une posture d’étayage. La place du langage dans cette relation à l’élève étant fondamentale.
À travers ce choix pédagogique, j’ai pu observer, au quotidien, des élèves engagés activement dans leurs activités, des enfants ayant développé autonomie, responsabilisation, des interactions sociales riches, une coopération importante entre pairs grâce au fonctionnement de la classe multi-âge mais aussi des compétences solidement construites et ancrées et contribuant à asseoir durablement les acquis de fin de cycle 1.
Tout le travail d’enseignant est de créer du lien entre les programmes, les attendus de fin de cycle et les ateliers de manipulation mis en place au sein de la classe.
J’ai donc réalisé une progression détaillée mettant en relief les ateliers qui permettaient de travailler les compétences attendues.
Ainsi pour chaque compétence attendue en fin de cycle, je propose une liste d’ateliers de manipulation permettant d’acquérir cette compétence. Je me suis donc interrogée sur la progression des activités mais aussi l’évaluation des compétences dans ce cadre particulier des ateliers autonomes tout en articulant ce travail avec l’évaluation des apprentissages menée dans le cadre de situations d’apprentissages collectifs. (Progressions téléchargeables par les adhérents sur le site de Public Montessori)
Les ateliers autonomes sont une partie du travail réalisé en classe. Les élèves participent aussi à des projets au sein de la classe, et à des temps spécifiques d’activités physiques.
La plus grande difficulté rencontrée est le lancement. Réfléchir puis mettre en place les ateliers de manipulation, adapter sa posture face aux élèves, prendre du recul, observer… Une part de doute s’installe inévitablement surtout quand on se retrouve seule avec ce genre de pratique pédagogique.
L’apprentissage n’étant pas linéaire et immédiat, il faut aussi du temps pour observer les « effets ».
Quant à l’ambiance de classe les bienfaits se font ressentir très rapidement.
La connaissance individuelle des compétences acquises par les élèves est affinée, le temps accordé à chacun est d’une meilleure qualité…
L’échange avec d’autres enseignants, la confiance envers les élèves et le travail de préparation autour des compétences m’ont véritablement permis d’avancer et de poursuivre dans cette direction. Je pourrais aussi ajouter, les observables sur les élèves : des compétences solidement acquises, parfois bien au delà de ce qui est attendu, une différenciation pédagogique adaptée, une ambiance de classe sereine, des élèves heureux…
Le travail sur la posture de l’enseignant est indispensable.
Les ateliers à travers le matériel (et notamment le matériel pensé par Maria Montessori) sont une chose mais me semblent secondaire par rapport à la posture de l’adulte.
Celui-ci doit être bienveillant, doit réfléchir à la nécessité de sa présence (« toute aide inutile est une entrave au bon développement de l’enfant »), a un rôle d’observateur actif, et il doit parfois être force de proposition pour rassurer les élèves et les aider à progresser.
N’oublions pas que les élèves sont des esprits absorbants, et l’importance de l’effet miroir.
L’enseignant doit montrer l’exemple : chuchoter, se déplacer doucement, penser à l’économie de gestes et de paroles…
Le matériel n’est donc pas une finalité mais repose sur un ensemble : la classe et son ambiance, l’enseignant et enfin le matériel.
Tout le matériel sans un réel questionnement de sa posture a pour moi, peu de sens.
L’échange, l’entraide, la collaboration sont de véritables forces pour avancer.
Mutualiser les ressources, les moyens vont permettre aux enseignants d’avancer plus facilement dans la mise en place d’une telle pédagogique.
Se sentir soutenu, échanger, parler des difficultés rencontrées, essayer de trouver des solutions, poursuivre sa réflexion dans sa mise en œuvre des ateliers de manipulation…
Quelques questions posées à Héloïse :
Suis-tu tes élèves 3 années ?
Pas forcément. L’idée principale est de pouvoir les suivre les 3 années mais nous sommes 3 classes de PS-MS-GS et nous réajustons chaque année pour essayer de trouver le meilleur équilibre entre les 3 classes avec toutes les contraintes inhérentes à une école.
Pour cela, il y a un véritable travail d’équipe, pour créer du lien et de la cohérence entre les classes.
Ta formation ?
Je me suis formée auprès d’Agnès Putoud à Vaison la Romaine qui a réalisé un très gros travail autour du langage.
J’ai aussi beaucoup lu, des livres de didactiques, de pédagogies, des neurosciences et aussi de la psychologie de l’enfant (pédagogie positive, éducation non violente).
Comment se former côté savoir être ?
Tout le gros du travail pour l’enseignant va être au niveau de sa posture. Les lectures, seront d’une aide précieuse (ENV et CNV, neurosciences, C. Gueguen… etc), mais aussi l’observation d’autres collègues dans leur classe pour analyser leur posture, travailler le lâcher-prise, faire confiance à l’enfant.
C’est un énorme travail à réaliser sur soi et qui ne s’arrête pas (ou ne commence pas) à la classe…
As-tu tout le matériel et comment te l’es tu procuré ?
Tout le matériel, non… J’en ai maintenant une bonne partie.
J’ai financé une partie du matériel de ma classe et petit à petit avec mon budget d’investissement j’ai pu me procurer la suite du matériel (200/300€ tous les ans…).
Tes résultats ou observations concernant la réduction des inégalités sociales.
Par rapport à ça, mes observations m’ont amené à accentuer tout mon travail autour du langage.
L’enrichissement du champ lexical est une vraie base solide pour la réussite de la suite des apprentissages. Les inégalités sociales apparaissent nettement sur ce point.
Notre rôle, apporter du langage, apporter du vocabulaire encore et encore et ceci pour faciliter le travail ensuite (notamment l’entrée dans la lecture…).
Je conseille au passage la rapport : Grande pauvreté et réussite scolaire de J.P. Delahaye.
Public Montessori ?
Public Montessori permet de créer une forme de coopération, cette association permet d’échanger, de partager, d’évoluer dans sa pratique. En tant qu’enseignant, on est tellement plus riche lorsqu’on échange, on se questionne avec ses pairs.
Une pratique n’est pas figée. Le regard des autres est particulièrement formateur. Public Montessori permet ça! Être seul dans sa pratique, c’est difficile.
Lorsque j’ai débuté cette pratique, j’étais seule dans mon département, on est confronté à ses doutes, à ses propres remises en question, c’est parfois difficile, c’est un tel chamboulement professionnel !
Public Montessori sert aussi de levier, elle permet aux collègues d’aider à se lancer et le groupe apporte cette forme de soutien.
C’est aussi créer des documents en commun…