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Une classe Montessori dans une école publique parisienne. ​Témoignage d’Emmanuelle

Témoignage d’Emmanuelle, enseignante d’une classe de PS-MS-GS, à Paris.


Emmanuelle Schlumberger est professeure des écoles à Paris. Avec son équipe, elle a opéré un virage à 180° en 2016 et écrit un livre qui relate leur aventure. UNE ECOLE INTIME, aux Editions l’Harmattan. Une école maternelle de 4 classes qui passe d’un fonctionnement traditionnel à un fonctionnement 100% autonome.


Comment cela a commencé ?

Je suis professeur des écoles depuis 25 ans et j’ai toujours adoré être en classe avec mes élèves. J’ai travaillé dix ans en ZEP dans une école maternelle en Seine-Saint-Denis puis à Paris. Pourtant en 2016, je me suis trouvée confrontée à « une crise de la vocation ». Je ne trouvais plus mon compte dans ma pratique pédagogique ; j’avais l’impression que les élèves étaient en difficulté, que leurs compétences sociales ne se développaient pas correctement, qu’ils étaient stressés et que je n’arrivais pas à les faire entrer dans les apprentissages attendus par l’institution.

 

J’avais la chance d’être très proche de mes collègues qui ressentaient la même chose que moi : nous avons compris qu’il fallait qu’on évolue si on voulait redonner un sens à notre pratique. Nous nous sommes alors intéressé.es aux travaux de Céline Alvarez. C’est ainsi que nous avons découvert Maria Montessori, son matériel, ses théories. En 2016, nous avions l’enthousiasme des néophytes, nous découvrions tout avec émerveillement. Nous avons suivi les jours de conférences de Céline Alvarez pendant l’été et avons fait le grand saut tout de suite après… Nous étions une équipe de quatre dans une école de quatre classes. Nous étions sur la même longueur d’onde depuis le début. On s’aidait mutuellement et on discutait beaucoup.  

L’été 2016…

Nous nous sommes lancé.es, ensemble et d’un coup ! Constituer des classes à triple niveau nous semblait primordial et aussi un point de départ acceptable par notre institution puisque c’était un choix d’équipe. C’est ce que nous avons annoncé à l’inspection et nous ne nous sommes pas étendu.es sur le reste… tout le reste. Pendant l’été, l’école Saint André des Arts a fait sa mutation et a véritablement changé de peau. Exit le matériel traditionnel, les coins imitations, les bancs les tables, les chaises. Vive les petits tapis, vive la circulation, vive le vide, vive la sérénité ! On avait compris ça des conférences…

Puis nous avons investi dans le matériel. Là nous avons beaucoup été aidé.es par le soutien des parents délégués de l’école pour le financement. Nous sommes conscient.es que cette aide financière a été partie prenante dans la rapidité avec laquelle nous avons pu mettre en place notre nouveau projet, du moins dans sa partie matérielle. C’est une critique ou un constat qu’on nous fait souvent. Je pense qu’on était tellement enthousiaste qu’on aurait trouvé d’autres façons d’avoir du matériel, sans doute moins rapidement, peut-être qu’on aurait plus mutualisé. Il est vrai que dès la rentrée de septembre, nous avions équipé les quatre classes. Nous avons aussi passé nos vacances à écumer les vide-greniers pour installer nos plateaux de vie pratique.

Nous étions super fier.es de nos classes nouvelle formule. Ce qui caractérise cette période, c’est vraiment notre excitation, nos espoirs. Je rappelle qu’on n’y connaissait rien. Nous sommes des autodidactes complets. Nous avons regardé pendant toutes les vacances les vidéos que Céline Alvarez mettait en ligne sur son site en vie pratique, affinement des sens et mathématiques (rien en langage alors). Pour ma part j’ai lu L’enfant de Maria Montessori et d’autres livres écrits par des prof qui pratiquaient déjà dans leur classe. Bref, on a commencé comme ça.

La classe d'Emmanuelle, Paris

Nos relations avec l’institution et le soutien de la Cardie

Après cela a été l’état de grâce, le baptême du feu, les cents jours, la révolution permanente… Nous étions quatre, ce qui était une force. Mais en même temps très seuls. Notre inspection ne s’intéressait pas du tout à notre travail, nous ressentions même de sa part, une sorte de condescendance par rapport à ce projet. Mais bon, personne ne le remettait en question, pourvu que le mot « Montessori » ne soit pas prononcé. Nous avons alors compris que tout ce qui entourait cette pédagogie avait un côté sulfureux dans l’Education Nationale. Tous les questionnements que nous avions, nous ne pouvions y répondre qu’entre nous, lors de nos discussions, ou par le biais des réseaux sociaux ou bien sûr de la littérature sur le sujet. Et pourtant des questionnements, nous en avions : le respect du rythme de l’enfant (jusqu’à quel point ?), les périodes sensibles (avions-nous bien compris la notion ?), la compatibilité avec les injonctions de l’éducation nationale, le libre-choix, le développement de l’autonomie, les compétences exécutives et le développement des compétences sociales, l’apport des neurosciences… Toutes ces difficultés que nous rencontrions dans notre pratique étaient le sujet de conversations incessantes entre nous.

Nous avons cru que la participation aux ateliers de la Cardie de Paris allait apporter des réponses et nous aider. Notre projet avait été retenu comme étant innovant et nous étions convié.es aux réunions sur le thème du bien-être à l’école (rien de montessorien là-dedans, en tout cas le mot n’était pas dit). Si la Cardie nous a permis de rencontrer d’autres acteurs de projets innovants, ce qui a été un appel d’air pour nous et nous a enfin donné un espace plus vaste de réflexion sur nos pratiques, elle a quand même trouvé ses limites : nos demandes étaient de nous aider à trouver des outils d’évaluation de notre projet, d’assurer aussi la pérennité du projet : nous étions à la merci du bon vouloir de notre inspectrice qui pouvait à tout moment nous refuser les classes multi-âge, de l’arrivée de collègues qui n’avaient pas envie de travailler ainsi (notamment les compléments de décharge et de temps partiel).

Les effets de nos pratiques sur les enfants de l’école

Les années ont passé et nous nous sommes senti.es plus sûr.es de nous quant à notre connaissance du matériel Montessori. Au bout de quelques années, tous les enfants avaient travaillé ainsi et c’était plus facile de faire les présentations. Mais nous sommes resté.es des autodidactes avec les écueils que cela comporte : je crois qu’on continue de vouloir aller trop vite, qu’on a du mal à maintenir un niveau sonore bas, nous sommes toujours inquiet.es à l’idée de laisser du temps à certains enfants par rapport à des attendus de fin de Grande Section mais aussi d’enseignants de CP pas forcément en phase avec notre pratique, avec des préjugés parfois.

Pourtant pour rien au monde, aucun de nous quatre ne souhaiterait revenir à des pratiques anciennes. Malgré nos interrogations, nous voyons bien que les enfants s’épanouissent dans l’école. La pratique des présentations individuelles nous permet de les connaître au plus près et de pouvoir vraiment différencier notre enseignement. Cela permet aussi de créer un lien particulier avec chaque enfant et de le mettre en confiance pour la suite. Certains qui seraient passés sous les radars dans une classe traditionnelle, parce que perdus dans le groupe, sont repérés et nous pouvons les aider dès les premières semaines de la Petite Section. Comme dans beaucoup de classes utilisant du matériel Montessori, nous avons, et cela nous a beaucoup étonné.es au début, des enfants qui entrent très tôt et très naturellement dans la lecture, qui encodent et décodent très facilement. Les enseignants de CP reconnaissent que les enfants qu’on leur envoie sont autonomes et performants en résolution de problèmes.

Les effets de la mise en place d’un environnement Montessori sur nos pratiques

Quand nous avons mis en place un environnement Montessori dans nos classes, nous avions à l’esprit ce que cela allait changer notre relation avec les enfants, ne serait-ce que par le lien créé lors des présentations individuelles, mais nous n’avions pas réfléchi à ce que cela allait modifier, forcément, pour nous. C’est en pratiquant que j’ai constaté qu’il fallait absolument que ma posture d’enseignante évolue. Je crois que pour moi cela a été la découverte la plus importante de ces six années. Peut-être parce que j’avais derrière moi de longues années d’enseignement, dont dix en zone prioritaire, j’avais développé une certaine autorité et une nécessité (croyais-je) de contrôle. Enseigner dans cet environnement remet en question, non pas l’autorité, mais la manière de la manifester auprès des enfants. C’est un vrai apprentissage, ou dés-apprentissage. Une remise en question en tout cas qui me semble primordiale. Peut-être que les enseignant.es « Montessori » qui ont commencé par là en sont moins conscient.es que moi parce qu’ils.elles sont dans cette posture plus naturellement. Mais j’apprécie d’être consciente du chemin parcouru, j’apprécie d’être capable de lâcher prise et d’y prendre plaisir. J’apprécie de constater les effets bénéfiques de ce lâcher-prise sur les enfants (et sur moi-même).

La rencontre avec l’association « Public Montessori »

Nous en étions là de notre expérience quand de nouvelles collègues sont venues travailler avec nous. Notre école qui avait perdu une classe faute d’effectifs suffisants, plus de sept ans plus tôt, avait atteint ses limites de capacité d’accueil : les quatre classes craquaient de toutes parts… Nous eûmes une ouverture de classe à la rentrée 2022 ce qui entraîna le retour de notre directeur dans son bureau à plein temps et, de fait, l’arrivée de deux nouvelles collègues. Nous avions déjà accueilli avec plaisir une autre collègue l’année précédente après le départ d’une des quatre de l’équipe historique.

Avec ces trois nouvelles collègues, très impliquées dans la vie de l’école, très compétentes dans la mise en place d’ateliers autonomes, connaissant bien le matériel Montessori, notre projet peut continuer, s’enrichir, s’épanouir. C’est par l’une d’entre elle que nous avons fait connaissance avec l’association Public Montessori. Elle nous entraîna à l’une des premières réunions de l’année scolaire : nous étions dans nos petits souliers, ayant toujours l’impression d’être entré.es par effraction dans la pédagogie Montessori, de ne pas être très légitimes : notre force étant de pratiquer en équipe complète, au sein d’une école publique ; nos faiblesses, le fait de nous être formé.es tout.es seul.es et d’avoir peu communiqué avec d’autres enseignant.es. Cette première rencontre nous rassura car les collègues présentes étaient bien sûr très bienveillantes et faisaient part de leur grand investissement intellectuel avec beaucoup de réflexion et d’expérience.

Nous découvrons que Public Montessori est un outil de mise en relation entre enseignant.es très riche. Les échanges avec les collègues sont intéressants parce que les parcours de chacun.e, s’ils sont variés, conduisent à la même envie de travailler différemment avec les enfants. Le fait que certain.es soient très compétent.es en pédagogie Montessori donne envie d’approfondir nos pratiques. Enfin le contenu même des formations proposées va nous permettre d’accompagner au plus près les enfants.

Participer activement aux réunions et aux projets proposés par Public Montessori donne à notre aventure une nouvelle impulsion qui est la bienvenue, sept ans après notre première remise en cause.